En ayant créé plus de 40 personnages de Bande Dessinée et ayant participé à des dizaines de périodiques de « Le Pays » à ceux des éditions SPE en passant par « Coq Hardi » , Marcel Turlin dit Mat, a été un auteur de bande dessinée très prolifique entre les années vingt et soixante-dix. En tant qu’artiste de son temps, Mat comme beaucoup d’autres, inscrit dans ses œuvres les progrès de son époque. Mettant en scène ses personnages dans des activités anodines aujourd’hui, celles-ci émerveillent néanmoins la jeunesse d’alors (L’aviation à réaction, l’exploration de terres nouvelles, le cinéma, le cirque et le zoo…). Ses productions sont aussi imprégnées des contextes socio-politiques de l’époque. On y retrouve alors les thèmes adjacents aux politiques coloniales de la France, soit le rapport entre l’Européen colon et « l’Afrique noire » (« Pitchounet à travers la jungle », « Bouclette chez les sauvages »). De cette même façon, Mat illustre la série de « Bamboula » à partir de 1951, mettant en scène un jeune homme d’origine africaine à la découverte de la France, dans des aventures rocambolesques. Mat n’y est pas exempte des clichés racistes du moment. On y retrouve un racisme ordinaire, exprimé tant à l’écrit (« Négrillon », locution du personnage de Bamboula à la Banania « Moi y’en a …», « Moricaud », etc…) ou dans le dessin (Peau excessivement noire, visage à la limite du simiesque et lèvres démesurées). On peut pousser ce constat jusqu’à l’attitude de Bamboula qui se veut serviable, loyal, un tantinet naïf… conformément au « bon petit nègre » du cliché colonialiste. Pourtant, lorsque l’on se laisse aller à la lecture des aventures du petit héros africain, on est surpris par le contrebalancement de ce racisme qui nous semble si abjecte. En effet Bamboula (ici dans Bamboula Aviateur) se montre bien plus rusé et malin que les autres personnages, il est doté d’une détermination de fer à s’en sortir et travailler à gagner sa croûte, mettant en place, pour ce faire, une imagination et des idées surprenantes. Si son langage est caricatural, il ne manque pas de répartie, d’expressions poussées et de mots d’esprit toujours teintés d’un petit trait d’humoriste. Il crée, chez les autres personnages, admiration et sentiments amicaux, sans finalement qu’on puisse y voir un rapport d’infériorité ou de supériorité entre eux. Il se veut même moralisateur : « Ca y’en a pas être juste ! Moi ai pourtant beaucoup courage et demande pas mieux que travailler, en attendant, moi devoir me cacher comme un malfaiteur… Pitits qui avez li chance d’avoir di bons parents et maison bien chaude vous devez apprécier votre bonheur ! » Cette tirade est sans équivoque. Elle intervient juste après le contrôle du jeune héros par la gendarmerie alors qu’il est en situation irrégulière, sans domicile et momentanément sans travail. Et à chaque nouvelle aventure, nous retrouverons Bamboula chercher un nouveau job, plein de bonne volonté et se laissant aller au gré des rencontres qu’il fait et des amitiés qu’il noue avec des personnages dont il sauve souvent la mise, sans jamais s’approprier aucune gloire. Il nous semblait intéressant de mettre en lumière cet album de Mat qui, dans un certain sens, fait écho à la situation actuelle de bien des personnes en Europe.