Né en 1970 à Nancy, Jochen Gerner est l’un des plus atypiques et des plus intéressants auteurs de la bande dessinée contemporaine, pour peu que l’on ne donne pas au terme « bande dessinée » une définition trop stricte.

D’abord parce que Jochen  Gerner n’est pas uniquement un auteur de bande dessinée. Il a été, et est encore illustrateur et auteur complet de livre pour enfants (en particulier pour les éditions du Rouergue), dessinateur de presse (Le Monde, Libération, The New Yorker) et il pratique la bande dessinée depuis toujours. On l’a remarqué pour la première fois en 1990, lorsqu’il il a reçu l’Alph’Art scolaire du Festival d’Angoulême. Il a publié plusieurs remarquables recueils (dont Courts-circuits géographiques et Contre la bande dessinée, réjouissant travail de compilation de tous les poncifs, positifs ou négatifs, dont usent les journalistes et les critiques quand ils parlent de bande dessinée). Son goût des jeux formels et des contraintes le rapprochent de l’OuBaPo (Ouvroir de la bande dessinée potentielle), dont il est membre 1993. Cet attrait pour les formes ludiques de l’art et son trait épuré (il a signé en 2016 avec Christian Rosset un excellent volume sur le minimalisme dans la récente collection des éditions du Lombard, « La petite bédéthèque du savoir ») l’orientent de plus en plus vers le monde de l’art contemporain où il est reconnu depuis que la galerie parisienne Anne Barrault le représente et l’expose.

Il se livre depuis quelques années à des exercices de « relecture » de  certaines BD, dont en particulier celles d’Hergé, dont il fait très fine analyse sous forme de diagrammes. Ainsi Objectif secret qui se présente comme le relevé de tout une myriade d’événements se déroulant au long des pages d’Objectif Lune. Chaque catégorie d’événement (choc, déplacement…) est représentée par un symbole graphique qui est placé sur des feuilles de papier millimétré à l’endroit même de la page où Hergé l’avait représenté. Le résultat, élégant, énigmatique en même temps qu’extrêmement ludique, est tout à fait dans l’esprit d’un dessinateur qui symbolise la récente perméabilité de la bande dessinée à d’autres formes artistiques. Lorrain de naissance, Jochen Gerner dit aimer les frontières. Pour les franchir.