Du dessin, figuratif. Avec ce quelque chose d'une crispation mimétique, que d'Harold Foster (Prince Valiant) à Milton Caniff (Terry and The Pirates), et par-delà tout ce qui les différencie, on réduit à une certaine manière nord-américaine, dite « réaliste », participant d'un « âge d'or » de l'histoire du strip. Manière classique, à laquelle Alex Raymond se livre avec outrance à partir de 1939, via sa série dominicale Flash Gordon, dans le récit « Ice Kingdom of Mongo » (Raymond bataille ; il souhaite ici en découdre avec Foster, comme il ira, en 1949, se frotter à Caniff). Jean-Claude Forest évoque ce moment comme la mort du strip américain. Forest a tort et Forest a raison. Car si, en parallèle du capitalisme eugéniste qui métastase dans les années 1930, il y a bien « une crispation sur des stéréotypes fatigués qui s'emparent des comics », réalisme figuratif virant au cadavre de mode, il faudrait étudier comment, dès l'époque, Alex Raymond interroge cette menace, par le dessin comme par le récit (une des qualités d'exception de Flash Gordon étant de toujours faire rejaillir sur le plan narratif les enjeux de dessin et de représentation auxquels l'auteur se retrouve confronté). Et comment, au sortir de la Seconde Guerre, Raymond va, avec sa nouvelle série Rip Kirby, en outrepasser les dangers, poussant à ses limites paradoxales l'expression figurative dans le cadre industriel, si astreignant, du strip quotidien. Il faudrait réussir à voir comment, en somme, le spectaculaire photo-morbide de « Ice Kingdom of Mongo » aboutit logiquement au blitz-sketch critique de Rip Kirby — pour s'inspirer, peut-être, d'une telle trajectoire. (...) Les six premiers strips de Rip Kirby sont publiés du 4 au 9 mars 1946. Après une décennie de planches dominicales en couleurs grand format (Flash Gordon/Jungle Jim, 1934-1943), et deux ans à servir dans la guerre du Pacifique, Alex Raymond revient au strip noir et blanc quotidien. Il connaît la formule, et ses impératifs, qu'il pratiqua comme assistant des frères Young (Blondie et Tim Tyler's Luck, 1931-1933), et pour Secret Agent X-9 (1934-1935). Le syndicate King Features, propriétaire des droits, s'étant opposé à ce qu'il reprenne Flash Gordon, le vétéran retourne à un ancien dispositif pour son nouveau projet, qui sera le dernier, Alex Raymond meurt dans un accident de voiture, le 6 septembre 1956. (...) Le 7 janvier 1934, Flash Gordon s'ouvrait par la fin du monde ; quelques cases plus bas, le héros filait à bord d'une fusée vers sa mort annoncée. Pendant sa première semaine d'existence, Rip Kirby, « athlète reconnu, scientifique, détective amateur, réserviste du corps des Marines, décoré pour son service dans le Pacifique », ne dépasse pas l'entrée de son immeuble. Un meurtre a bien été commis, mais on paraît s'en désintéresser au fil d'un quotidien qui louvoie.