Né en 1958, Miguelanxo Prado a toujours été un outsider au sein de la bande dessinée espagnole. A l’époque de la Movida, après la mort du dictateur Francisco Franco, il participa au mouvement d’émancipation qui touchait alors le neuvième art hispanique, mais sans être rattaché à aucun des groupes qui s’étaient formés à Barcelone (au sein de la revue El Vibora), à Madrid ou encore à Valence. Galicien de naissance et non-lecteur de «tebeos» - les bandes dessinées en espagnol - dans sa jeunesse, Prado se destinait à l’architecture quand l’envie de s’exprimer le fit s’orienter vers la narration en images. Après quelques courts récits publiés en revue, il se lança au début des années 1980 dans un cycle de science-fiction, L’Encyclopédie des dauphins, ambitieuse saga qui dépeignait un monde du futur où, frappée d’extinction, l’espèce humaine était remplacée par les dauphins. Il poursuit dans la veine spéculative avec Stratos, d’une inspiration aussi noire que son traitement graphique. Il a également abordé l’érotisme, en une suite de courts récits (Venin de femmes) où le désir, une fois consommé, engendre presque immanquablement mélancolie et désenchantement, et le genre policier (Manuel Montano) mêlant le classicisme du polar avec un humour grinçant. Traits de craie, ambitieuse fresque littéraire, dont les subtiles correspondances, cachées sous une narration apparemment limpide, justifient plusieurs lectures, est à ce jour son œuvre la plus reconnue (prix du meilleur album, festival d’Angoulême 1994). Mais on peut également aimer toute la série des courtes histoires quotidiennes publiées en Espagne dans les années 1980, et parue en France en trois albums (Chienne de vie, Vive le sport et Y a plus de justice), dont la planche que nous présentons aujourd’hui fait partie. La maitrise graphique y éclate avec force, tout comme le ton résolument sardonique de courtes anecdotes tirées de la vie quotidienne. Dans ces nouvelles, des quidams sans histoires auxquels le lecteur peut s’identifier se trouvent pris dans des engrenages où les conventions sociales, les mesquineries de voisinage, les préjugés et la pure et simple méchanceté les conduisent vers la culpabilité, voire la mort. On pense à Franz Kafka, Ambrose Bierce ou Marcel Aymé pour l’implacabilité de brèves anecdotes menées à leur terme avec une évidence et une élégance saisissantes. Dans les entretiens qu’il accorda à l’époque, Prado insistait sur la véracité des histoires racontées (certaines étant d’ailleurs basées sur des expériences personnelles). Il y a autant de «vérité» dans ces brèves nouvelles que de «réalisme» dans son fabuleux traitement graphique, qui déforme les perspectives, accentue les mimiques pour aller au-delà d’une représentation photographique des décors et personnages et atteindre à une forme de malaise non dénué de bouffonnerie.