La carrière d’Aristophane aura hélas été brève: né en 1967, il est mort en 2004 après avoir été gravement diminué par un accident domestique. Son œuvre tient en quelques centaines de pages où rien n’est médiocre. Ancien élève des Beaux-arts de Paris, il était venu à la bande dessinée à l’école des Beaux-arts d’Angoulême, où sa personnalité forte mais réservée avait marqué les étudiants et enseignants qui le côtoyaient. La parution du Conte démoniaque en 1996, librement inspiré de La Divine comédie de Dante, a frappé les lecteurs et la critique, et constitué un moment important dans la reconnaissance de la «nouvelle» bande dessinée des années 1990. Cette évocation de l’enfer, portée par un graphisme puissant et très noir, était pour Aristophane une manière d’interroger la notion du Mal. Il a pris plus tard ses distances avec cette œuvre suffocante, jusqu’à la désavouer. Il s’est ensuite tourné vers des œuvres plus courtes, au cœur desquelles se trouvent des interrogations existentielles aussi fortes que discrètement traitées. Ainsi des Sœurs Zabime, dont cette planche provient. L’action se déroule sur quelques heures dans un petit village de l’île de la Guadeloupe (dont Aristophane était originaire). Le lecteur suit trois jeunes sœurs au cours de leur premier jour de vacances scolaires. Aristophane rend avec sensibilité et nuances toutes leurs rencontres, leurs discussions, leurs rires, leur ennui aussi. L’évocation de la vie des différents personnages croisés en chemin, leurs rivalités, les disputes, les affrontements, mais aussi les réconciliations et les connivences se fait par touches discrètes. Le trait est tour à tour charbonneux ou précis (voir le traitement presque décoratif du groupe de fleurs dans la dernière case). Dans ce récit antispectaculaire et pourtant captivant, Aristophane finit par toucher le lecteur, qui ressent au plus profond de lui-même ce que ces péripéties apparemment banales peuvent contenir d’épiphanies intimes.