Quelque part entre Robert Crumb et Edward Lear, voilà où l’on peut classer le dessinateur anglais Hunt Emerson. Né en 1952 à Birmingham (où il réside toujours), il fait paraître ses premières pages en 1971, dans les publications alternatives qui fleurissent à l’époque. Il développe alors un monde absurde qui prolonge en bande dessinée la tradition anglaise du nonsense et reste sa marque de fabrique jusqu’à aujourd’hui. Les éditions Artefact traduisent dans les années 1980 ses œuvres les plus importantes, Thunderdogs (parodie éberluante d’une bande de guerre du dessinateur américain Wallace Wood), et Histoires de la grande vache, recueil d’hilarantes histoires courtes. Les années 1980 verront la parution des recueils de Firkin Cat (un chat qui observe avec amusement l’infinie bizarrerie des comportements humains en matière de sexe) et surtout une adaptation à la fois fidèle et ironique du Lady Chatterley’s Lover, d’après D. H. Lawrence, qui rencontre le succès dans plusieurs pays d’Europe. Il appliquera la même recette aux Mémoires de Casanova, et au Rime of the Ancient Mariner de S. T. Coleridge. Il faudrait également citer Jazz Funnies, vision à la fois amicale et désabusée de la vie d’un musicien de jazz, talentueux mais que sa naïveté conduit invariablement à se retrouver sans le sou (dans un épisode, le Diable lui-même le provoque en un duel musical!) Calculus Cat, dessiné dans les années 1980 et 90, offre une interprétation particulière de la vie quotidienne du chat Calculus, lointain cousin de Felix, Krazy Kat et Fritz le Chat. Le scénario de chaque épisode est plus ou moins toujours le même : une fois accompli son labeur quotidien (son «métier» consiste à courir les rues en arborant un large sourire contraint, provoquant la rancœur des passants qui l’insultent et lui jettent toutes sortes d’objets à la figure), Calculus rentre chez lui, avide d’un peu de repos. Mais c’est compter sans son poste de télévision qui, connaissant ses faiblesses de téléspectateur invétéré, l’abreuve de publicités ineptes qui l’abrutissent. Il tente régulièrement de se rebeller, mais ne parvient jamais à s’émanciper de son aliénation sociale, ce qui provoque son désespoir – et notre rire, tant Emerson pousse la fable jusque dans ses extrêmes les plus délirants. Cette page permet d’apprécier l’expressivité du trait souple d’Emerson, l’efficacité comique des postures de son personnage et les gags visuels qui émaillent cette page (en clin d’œil au Krazy Kat de George Herriman): remarquez comme les motifs imprimés du fauteuil et la forme de l’antenne de télévision changent à chaque case.