Figure de proue de la bande dessinée d’auteur en France, Edmond Baudoin est entré assez tard dans la carrière d’auteur de bande dessinée. Ancien chef comptable tenté par la peinture, il pratique d’abord le neuvième art comme un moyen d’assurer la pitance, avant de se prendre au jeu et de la pratiquer avec l’audace que procure l’ignorance des préjugés. Complètement éloigné des canons de la bande dessinée traditionnelle, il expérimente une narration basée plus sur le ressenti que sur des péripéties rebattues. A l’inverse de ses confrères, dont le processus de création est généralement long et complexe, Baudoin exécute ses pages dans des délais très brefs, privilégiant une spontanéité virtuose. Il publie d’abord dans Le Canard sauvage, puis Pilote, avant que la rencontre avec les éditions Futuropolis ne lui permette de publier une dizaine d’albums entre 1981 à 1997. On retiendra Un rubis sur les lèvres (1986), Le Portrait, et Couma Aço qui creusent une veine intime, voire autobiographique. Dans les années 2000, c’est L’Association qui édite ses titres les plus marquants (Éloge de la poussière, Salade niçoise), mais son importante production, réalisée seule ou en collaboration (Frank, Jacques Lob, Fred Vargas, Céline Wagner, Frédéric Debomy, Troub’s, etc.) est disséminée dans de nombreux labels. Également peintre, Il a adapté ou illustré Le Clézio, Jean Genet et Cartarescu et participé à plusieurs expériences mêlant danse et dessin. On le considère comme l’un des précurseurs de la bande dessinée autobiographique en Europe. Comme le montre cette planche extraite du Portrait (1990), Baudoin travaille un noir et blanc contrasté, qui en fait ici un cousin de José Muñoz et un descendant atypique de Milton Caniff. Récit de la relation amoureuse entre un peintre et une danseuse, Le Portrait frappe, vingt-deux ans après sa sortie, par sa force poétique. On sait bien que les histoires d’amour finissent mal en général, et celle-ci ne déroge pas à la règle, mais Baudoin en raconte les péripéties avec délicatesse et liberté. Ainsi dans cette page où une case entière de texte restitue le monologue intérieur de l’héroïne de l’histoire, tandis que le reste de la page, presque muette, alterne des vues du peintre et de la danseuse, celle-ci allant retrouver celui-là.