On a dit que la série des Cauchemars de l’amateur de fondue au chester (traduction de Dream of a rarebit fiend) de Winsor McCay (1871-1867) était une version adulte de Little Nemo in Slumberland, série aujourd'hui considérée comme le premier chef-d’œuvre de la bande dessinée mondiale. En réalité, Les Rêves ont précédé de peu Little Nemo, et l’on peut considérer que c’est dans cette première série que McCay a expérimenté le principe narratif qui consiste à ce que chaque page des deux séries fonctionne sur le principe d’un personnage qui, plongé dans une situation aberrante et quelque peu inquiétante, se réveille pour découvrir qu'il vient de faire un (mauvais) rêve. Dans Les Rêves, chaque épisode met en scène un personnage différent, tandis que Little Nemo est le héros immuable de la série qui porte son nom. Là où Little Nemo fonctionne sur le registre du merveilleux féerique, Les Rêves sont plus explicitement horrifiques, les personnages connaissant souvent un sort funeste (explosion, chute…), avant le réveil et la phrase rituelle qui met ces inquiétantes fantasmagories sur le compte d’un excès de fondue. On aurait tort cependant de considérer Les Cauchemars de l’amateur de fondue au chester comme un «brouillon» de Little Nemo. Comme le montre cette page, McCay est plus directement «cinématographique» dans cette œuvre, son découpage fonctionnant quasi exclusivement sur le principe de la succession d’un même plan fixe, donnant d’autant plus de force aux variations minimales des attitudes et expressions des personnages et à la chute comique de la dernière case. Ce souci de la restitution du mouvement (comme si chaque case était un photogramme prélevé d’une continuité narrative beaucoup plus riche) se retrouve également dans Little Sammy Sneeze et Hungry Henrietta (autres séries éphémères de la même période) et amènera fort logiquement McCay au dessin animé dont il a été un des pionniers les plus inspirés à partir de 1911.