De Saint-Ogan, on connaît surtout Zig et Puce, série extraordinairement populaire avant-guerre et qui imposa l'usage de la bulle dans la bande dessinée française. On sait également que Saint-Ogan fut le modèle et une influence majeure d'Hergé du point de vue stylistique. On oublie qu'il fut également un créateur  prolixe tour-à-tour illustrateur, écrivain, auteur de théâtre, homme de radio… Dans le seul domaine de la bande dessinée, le succès déjà mentionné de Zig et Puce tend à masquer l’incroyable richesse de sa production: Mitou, Toti et Serpentin, l’Ours Prosper, Monsieur Poche (qui inspira Greg pour son Achille Talon), Galoche et Bitumet… Le registre habituel de Saint-Ogan est l’humour, mais il a tâté de la science-fiction (Le Rayon mystérieux paru entre 1937 et 1939 et réédité par le musée de la bande dessinée en 2000) ainsi que du merveilleux féerique avec Nizette et Jobinet qui nous occupe aujourd'hui. Cette série a paru à partir de 1948 dans Baby Journal, revue de bande dessinée destinée, comme son nom l’indique, aux plus jeunes lecteurs et qui rassemblait, sous la houlette de Marijac son rédacteur en chef, quelques-uns des plus grands noms de la bande dessinée française de l’époque: Jean Trubert, Mat, Edmond François Calvo… et Alain Saint-Ogan. Jobinet et Nizette sont frère et sœur. Accompagnés de M. du Corbeau, volatile parlant, ils traversent un univers fantastique peuplé de toutes sortes d’animaux et d’humains. Enfreignant naïvement des règles qu'ils ne comprennent guère, ils sont en butte à toutes sortes de difficultés dont ils se sortent grâce à leur ingéniosité et une bonne dose de chance. On pense bien sûr à Alice au pays des merveilles pour la liberté de l’inspiration et une certaine forme de poésie, et l’on sent que Saint-Ogan s’est amusé, semaine après semaine, à broder ce récit plein d’enjouement. Par-delà des péripéties un peu anecdotiques, on peut encore aujourd’hui la fraîcheur du graphisme, qui n’a pas pris une ride, et la fluidité d’un découpage aussi inhabituel que maîtrisé. Saint-Ogan abandonne ici la grille classique de cases bien délimitées pour la juxtaposition de dessins que le lecteur relie entre eux sans jamais être égaré. Du grand art.