Issu, comme ses amis Robert Crumb et Art Spiegelman, du mouvement underground US des années 1960, Bill Griffith dessine depuis bientôt quarante ans les aventures improbables de Zippy, microcéphale qu’il a fait vivre dans de nombreuses revues avant que King Features Syndicate, la première agence de presse américaine, lui propose une distribution nationale. Depuis plus de vingt ans, Zippy the Pinhead et ses acolytes dessinés, dont une incarnation de Griffith lui-même surnommée Griffy, se livrent quotidiennement à une critique aussi virulente que nonsensique de la société américaine. Fourmillant de références à la culture qu’on désigne désormais sous le terme de junk, Zippy dynamite le consumérisme outrancier et les divertissements de masse made in USA en s’en faisant le chantre inconditionnel, jusqu’à l’absurde. Invariablement vêtu d’une longue tunique jaune à pois rouge et chaussé de souliers en polystyrène expansé, il est présenté comme une sorte de consommateur absolu, fasciné par les produits de masse (il aime par-dessus tout les doughnuts industriels et la sauce pour les tacos) et la télévision la plus commerciale. Il est entouré d’une galerie de personnages qu’on peut considérer comme les facettes et opinions différentes de Griffith lui-même. Exemple unique de strip quotidien inspiré d’Alfred Jarry, des Three Stooges et de la bande dessinée Nancy (ici citée par sa coupe de cheveux tellement reconnaissable), Zippy bénéficie d’un statut «culte» dans son pays d’origine, et certains de ses slogans («Are we having fun yet?») ont été repris par d’autres. Parfois entrecoupés d’une série de strips autobiographies (réminiscences de l’enfance, évocation de voyages), Zippy bénéficie en outre de sa propre bande dessinée, dont les personnages sont des versions simplifiée de Zippy et de sa femme Zerbina, qui s’expriment uniquement au moyen de slogans publicitaires. Respectant une tradition établie après-guerre par le Pogo de Walt Kelly, Zippy s’est présenté aux élections présidentielles américaines (un de ses slogans est «Put a real pinhead in the White House!» («Mettez un authentique microcéphale à la Maison Blanche!», sous-entendu: au lieu de quelqu’un qui se comporte comme tel sans l’être), et Griffith prétend même qu’il a gagné. Fin connaisseur de l’histoire de la bande dessinée américaine, Griffith glisse régulièrement des allusions aux héros (souvent oubliés) des premières décennies du XXème siècle. Saturé de références à la sphère culturelle anglo-américaine et par là même à peu près intraduisible, Zippy est une catégorie à soi seul dans le paysage de la bande dessinée américaine. Il est à la fois l’aboutissement parfait de la longue tradition du daily strip et la critique radicale de sa déchéance commerciale.