Si Robert Collard, dit Lortac, jouit d’une faible renommée dans le monde de la bande dessinée, c’est en revanche un nom important de l’histoire du dessin animé en France. Au même titre qu’Émile Cohl, il fut un pionnier, qui réalise son premier dessin animé en 1914 et fonde son propre studio en 1919. On le connaît également comme romancier populaire, qui tâte de la science-fiction et du roman policier. Il est aussi illustrateur pour la presse, et scénariste de bande dessinée, principalement après la Seconde Guerre mondiale, quand il collabore durablement avec René Brantonne et Pellos, pour qui il écrit de nombreuses aventures des Pieds Nickelés. L’histoire que nous présentons aujourd’hui date de la Seconde Guerre mondiale et raconte la légende d’Ys, la ville engloutie. Ce récit, inspiré des légendes celtiques, paraît dans O Lo Lê (« Ohé » en breton), revue bretonnante pour enfants lancée en 1940 par les quatre frères Caouissin. Proche des thèses du mouvement autonomiste pro allemand Breiz Atao, O Lo Lê se signale par un anticommunisme et un antisémitisme explicites. Derrière un pétainisme de principe, la revue soutient l’idée de la collaboration avec l’occupant, dans l’espoir que la Bretagne acquiert à terme son autonomie au sein du futur grand Reich. Le journal, qui reprend Tintin au pays de Soviets à partir de 1942, publie des dessins et des pages de bande dessinée de Le Rallic, Rabier, Jobbé-Duval… et Lortac. Radicalisant son discours au fil des mois, la revue cesse de paraître en mai 1944. Les frères Caouissin, à l’exception de l’un d’entre eux, ne seront pas inquiétés après la guerre, et une deuxième version d’ O Lo Lê parait même entre 1970 et 1974, alors que les cultures régionales bénéficient d’une reconnaissance nouvelle, dans un contexte politique et culturel radicalement différent. La vision que donne Lortac de la légende d’Ys, entre fantastique et suspense, n’est pas trop marquée par l’idéologie du journal qui le publie. Sans doute soumis à de fortes contraintes de mise en page, Lortac travaille sur un « gaufrier » immuable de cases toutes identiques, le texte narratif étant placé sous les vignettes.