Sorti en 1967, Saga de Xam est une œuvre unique, un livre hors des canons de la production BD de l’époque (et d’aujourd’hui tout autant). De grand format, l’ouvrage comporte une jaquette et sa pagination excède très largement les 48 ou 64 pages habituelles de bande dessinée franco-belge de l’époque. Il faut dire que son éditeur est Eric Losfeld, l’éditeur historique des surréalistes qui s’est fait connaître en France par ses publications de romans érotiques, au premier rang desquels Emmanuelle, source de bien des ennuis avec la police et la justice. Editeur de Barbarella de Forest, de Pravda et de Jodelle de Peellaert et donc de Saga de Xam, Losfeld a joué un rôle déterminant dans l’émancipation de la bande dessinée française de l’époque.
De l’érotisme, il y en a dans Saga de Xam. L’histoire met en scène une extraterrestre qui ressemble à s’y méprendre à une terrienne, si ce n’est qu’elle a la peau bleue. Elle est plusieurs fois envoyée sur notre planète par la reine de la planète Xam pour comprendre la force et de la violence des humains afin de s’en défendre. Saga visite successivement la Terre à la période médiévale, durant l’antiquité tardive, 100 00 ans avant notre ère, à l’époque de l’Egypte antique et de la Chine du XIXe siècle. Cette histoire de SF se lit aussi bien comme une plongée dans l’histoire de l’humanité que comme une traversée de son histoire artistique. Chaque voyage dans le temps est en effet le sujet d’un chapitre spécifique (sauf le dernier sur lequel nous reviendrons), dont le style graphique reprend l’esthétique de la période : le chapitre égyptien montre des personnages plats et stylisés, celui dévolu à la Chine copie les peintures chinoises, etc.
Marqué par l’Art nouveau et surtout le psychédélisme américain de l’époque, Saga de Xam est l’œuvre de Nicolas Devil (Deville de son vrai nom), aidé au scénario par Jean Rollin, cinéaste de l’époque connu pour ses films de vampires teintés d’érotisme. Rollin n’est pas le seul à avoir contribué à l’œuvre. Le dernier chapitre fonctionne sur le principe du Cadavre exquis et fait intervenir une dizaine de personnes dont un comédien du Living Theatre et divers peintres et dessinateurs, dont le jeune Philippe Druillet. La présence de Druillet dans cette entreprise n’est pas fortuite : il avait publié l’année précédente chez Losfeld le premier volume des aventures de son héros galactique Lone Sloane et il a dessiné plusieurs affiches pour les films de Jean Rollin. Ses interventions dans Saga de Xam sont d’ailleurs très aisément repérables.
Baroque et surchargé, Saga de Xam emporte par son énergie et son audace, malgré quelques défauts : ainsi les bulles sont littéralement surchargées d’un texte très abondant et lettré trop petit, rendant difficile leur lecture. Losfeld avait pallié à ce défaut en adjoignant une authentique loupe à la première édition... Tiré à 5 000 exemplaires, l’album ne fut jamais réédité par Losfeld qui déclara dans ses Mémoires (récemment rééditées) qu’il préférait que le livre devienne une rareté pour collectionneur. Une réédition a été faite en 1980, rapidement épuisée et difficilement trouvable aujourd’hui.
Quant à Nicolas Devil lui-même, il publia un deuxième opus (Orejona) en 1974, prolongation de Saga de Xam qui compte pas moins de 256 pages et consiste en une narration composite faite de dessins originaux, de collages et d’emprunt à Robert Crumb, Gilbert Shelton, Ron Cobb…
Devil a depuis complètement abandonné la bande dessinée. La rumeur veut qu’il ait émigré au Canada où il est devenu enseignant.