Né en 1964, Lewis Trondheim est l’un des cofondateurs de L’Association, maison française lancée en 1992 par six dessinateurs soucieux, dans un contexte de crise, de prendre en main leur carrière en s’offrant leur propre outil éditorial.
Parmi les membres fondateurs de L’Association, Lewis est sans conteste le plus prolifique et sans doute celui dont la carrière a été la plus « grand public ». Sa bibliographie compte plusieurs centaines d’albums pour lesquels il peut être auteur complet ou scénariste, plus rarement dessinateur au service d’un scénariste. Par goût de la contrainte formelle, il a abordé à peu près tous les genres (y compris certains pour lesquels il a peu d’appétence), toutes les formes (le strip, la BD à suivre, le mini-comix..) et tous les supports (papier, écran numérique). Il a également participé à l’adaptation de quelques-unes de ses propres créations BD en dessin animé. Il est l’un des fondateurs de l’OuBaPo (OUvroir de BAnde dessinée POtentielle), filiale de l’OuLiPo, pour lesquels il a réalisé des dizaines d’exercices la plupart du temps virtuoses.
Son travail est presque exclusivement animalier, ses personnages étant un hybride de corps humain surmonté d’une tête animale (lui-même se représente comme un perroquet doté d’un fort bec). Cette inspiration lui vient, a-t-il déclaré, de ses lectures enfantines des aventures de Mickey et Donald dessinées par Floyd Gottfredson et Carl Barks pour Disney.
Dans cette œuvre immense, le personnage de Lapinot occupe une place particulière. C’est le personnage qu’il a créé en 1992, pour un projet qui sonnait alors comme une gageure : s’engager, sans scénario préalable, dans la réalisation d’un album de cinq-cents pages à suivre (l’histoire n’est pas chapitrée) dessiné directement à l’encre de Chine, sans esquisses ni crayonnés préalables. Cela donnera Lapinot ou les carottes de Patagonie, dont Trondheim dit qu’il est le livre avec lequel il a appris à dessiner. A la suite, Lapinot va être le héros fétiche de la première partie de la carrière de Trondheim, qu’il transporte, avec un « casting » de personnages immuables, d’album en album et d’univers en univers, avant de le « tuer » en 2004 dans une histoire mélancolique intitulée La Vie comme elle vient. Lapinot est ressuscité en 2017, pour un album cartonné couleur publié par L’Association.
Débutée au sein de L’Association, la carrière de Lapinot va se poursuivre chez Dargaud, donnant lieu même à une curiosité éditoriale puisque, par souci de cohérence, Lewis Trondheim va entièrement redessiner les pages de Slaloms, premier album de la série initialement paru en 1993 à L’Association, et qui reparait en 1997 dans un format différent et en couleur chez Dargaud.
La page que nous présentons aujourd’hui est extraite de la première version du récit en noir et blanc. Slaloms mêle le récit plein d’humour des vacances d’hiver d’un groupe de copains décidés à prendre du bon temps et un arrière-plan plus fantastique, où il est question de morts violentes. Elle montre des personnages en train de jouer au Trivial Pursuit et se signale par la vivacité de ses dialogues et la fluidité d’un découpage qui annule tout ce que cette scène aurait pu avoir de statique.